Est-ce lui, le premier yogi de l’histoire ?

Nous sommes vers 2500 ans avant notre ère. En Égypte, les hommes érigent les grandes pyramides ; en Angleterre, ils élèvent l’enceinte circulaire de Stonehenge ; aux abords du fleuve Indus, ils élaborent d’impressionnantes métropoles de briques séchées. Sur un territoire correspondant au Nord-Ouest de l’Inde et au Pakistan actuel, des centaines de villes et des milliers de villages sortent de la terre, donnant naissance à une civilisation : la civilisation de l’Indus.

Leurs habitants cultivent des céréales et élèvent des bovins. Travaillant le bronze et le cuivre, ils sont impliqués dans un fructueux commerce avec la Mésopotamie : ils exportent leurs surplus agricoles tout autant que leurs armes, bijoux, rasoirs et céramiques. Cette prospère civilisation urbaine s’effondre et disparaît vers 1800 avant notre ère.

Il y a un siècle, au hasard de la construction d’une ligne de chemin de fer, l’archéologie commence à découvrir ses vestiges. La civilisation de l’Indus renaît dans la mémoire de l’humanité. Parmi les milliers d’objets utilitaires retrouvés, il y a de nombreux petits carrés de pierre tendre, de quelques centimètres de côté, taillés en creux de motifs et de signes pictographiques. Certains d’entre eux figurent des personnages assis, dans une position que les archéologues d’alors associèrent à une posture de yogi, créant le mythe d’un yoga vieux de 5000 ans.

Sceau numéro 420 de Mohenjo Daro

Jambes pliées, colonne étirée, mains dirigées vers le sol : ce mystérieux personnage à trois visages, que certains ont identifié comme un proto-Shiva, est-il installé en mulabandhasana, une posture nécessitant de se hisser sur les orteils et de s’asseoir sur les talons joints ?

Krishnamacharya pratique uddhyana bandha en mulabandhasana

La posture requiert une grande souplesse des chevilles et des hanches, laissant penser que des techniques yogiques de maîtrise du corps étaient bien connues. Entouré d’animaux sauvages, le personnage du sceau nous rappelle cette caractéristique des ascètes et yogis : leur aisance parmi la nature farouche. “L’hostilité disparaît en présence de celui qui a parfaitement installé en lui la non-violence”, nous dit Patañjali dans ses Yoga Sutra (II.35).

Avec la découverte de ce sceau fut émise l’hypothèse d’un yoga né il y a 5000 ans ; une hypothèse bien ancrée, mais cependant très peu étayée. Ce personnage est-il vraiment installé dans une complexe posture de yoga ? N’est-il pas simplement assis selon les us et coutumes de l’époque ? Ainsi, à un discutable mulabandhasana, certains préfèrent reconnaître une assise en tailleur, plus naturelle (du moins pour des humains habitués à siéger sans chaise). Est-il en train de méditer ? Rien n’est moins sûr.

En réalité, nous ignorons tout des pratiques religieuses et spirituelles des habitants de l’Indus. Leurs vestiges nous renseignent sur leur mode de vie, leur commerce, leurs habitations, mais pas sur leurs dieux, leurs cultes, leurs mythes. Les citoyens de l’Indus ne nous ont pas légué de textes déchiffrés. Les signes pictographiques apparaissant sur les sceaux, si tant est qu’il s’agisse d’une écriture, n’ont encore jamais été décryptés. Tant que l’on ne connaît pas la langue, la religion, les croyances des citoyens de l’Indus, on ne peut qu’émettre de vagues hypothèses sur ces personnages aux allures de yogi.


Aujourd’hui, il semble y avoir consensus : le personnage du sceau n’est ni un proto-Shiva, ni un proto-yogi. En l’état actuel des connaissances, il faudra patienter près de mille ans après l’effondrement de la civilisation de l’Indus pour voir apparaître dans les hymnes du Veda le mot “yoga”. Et ce mot, vous vous en doutez sûrement, est encore bien loin de désigner l’enchaînement de postures sur un tapis en caoutchouc !

Quoi qu’il en soit, et même s’ils ne sont pas les lointains ancêtres spirituels des yogis que nous sommes, je trouve ces personnages très inspirants. Nous ignorons de quelle manière étaient utilisés ces petits morceaux de pierre taillés. Par analogie avec leurs équivalents trouvés en Mésopotamie, on suppose qu’il s’agit de sceaux, servant de signature ou de marque de fabrique. Mais ils semblent fragiles pour une utilisation commerciale : il pourrait alors s’agir de talismans, ce qui les rend d’autant plus touchants.

7 réflexions sur “Est-ce lui, le premier yogi de l’histoire ?”

  1. Pierre Regimbaud

    Merci Clémentine pour nous faire partager le fruit de tes recherches.
    Quand nous sortiras-tu un DVD avec de belles séances ?…

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