7 choses que vous ignoriez peut-être sur les Upanishads

J’ai toujours aimé les séries, et cela faisait un moment que je souhaitais écrire une suite à cet article (7 choses que vous ignoriez peut-être sur les Yoga Sūtra), publié… il y a presque 4 ans (le temps file). À l’occasion du lancement de la formation Upanishads par l’historien Alexandre Astier, cet article voit (enfin) le jour !

Les Upanishads sont peu étudiées, sans doute éclipsées par les plus célèbres Yoga Sūtra et Bhagavad Gītā. Et pourtant, elles sont fondamentales dans l’histoire du yoga et de la pensée indienne. Elles exposent des concepts clés tels que le karman, l’ātman, le cycle des renaissances, la libération, et marquent l’apparition de l’intériorité dans les religions anciennes de l’Inde. Voici 7 informations sur les Upanishads (à prononcer “oupanichad”).

1. Ce qu’est une Upanishad

Les Upanishads forment une catégorie de textes* qui clôturent le Veda : pour cette raison, on les appelle aussi vedānta, la «fin (anta) du Veda». Le corpus des Upanishads védiques comprend 12 à 15 textes, composés pour la plupart entre le 7ᵉ et le 3ᵉ siècle avant notre ère.

Ces Upanishads védiques ne doivent pas être confondues avec les Upanishads plus tardives, qui reprennent le cadre non-dualiste de ces textes anciens. En effet, le terme upanishad deviendra un terme générique servant à désigner un genre d’ouvrages, dont les célèbres et beaucoup plus tardives Upanishads du Yoga (17e-18e siècle). Au total, près de 250 textes se nomment Upanishad, certains datant même de l’époque moderne !

* Attention au mot texte dans ce contexte : les Upanishads sont à l’origine des compositions orales, destinées à être récitées ; elles ont été mises à l’écrit beaucoup plus tard.

2. Ce que veut dire "upanishad"

On a longtemps analysé le mot upanishad à partir de la racine verbale SAD, qui signifie « s’asseoir ». Ce terme est accompagné de deux préfixes : upa-, signifiant « près de », et ni-, « en bas ». Le mot upanishad était donc interprété comme « s’asseoir près de » ou « s’asseoir aux pieds de son maître », tel un disciple recevant un enseignement spirituel.

Cependant, selon plusieurs spécialistes, le sens premier d’upanishad serait plutôt celui d’« approcher » ou d’« être en relation », c’est-à-dire d’« établir une connexion » : un procédé qui correspond tout à fait au thème central des Upanishads. Celles-ci établissent des corrélations entre différents plans de l’univers : le cosmos, le corps humain, le rituel. Elles dévoilent ce qui relie secrètement les êtres et les choses. Un sage parle du « fil (sūtra) par lequel ce monde-ci et l’autre monde et tous les êtres sont tissés ensemble ».

Pour Alexandre Astier, cette interdépendance de toutes les formes du vivant préfigure la philosophie actuelle du vivant, telle qu’elle est par exemple développée par Baptiste Morizot.

3. Il y a des femmes savantes dans les Upanishads

Les Upanishads mettent en scène des figures féminines remarquables, telles que Gārgī Vācaknavī, une femme ascète et maître spirituel de premier plan. Elle apparaît comme l’une des premières femmes gurus mentionnées dans les textes indiens. Bien que l’univers des Upanishads soit dominé par des figures masculines, la place accordée à Gārgī et à d’autres femmes illustre une certaine ouverture et une inclusivité rare dans l’Inde ancienne. Malheureusement, cette ouverture disparaîtra dans les textes ultérieurs.

4. On y trouve la première définition sanskrite du yoga

Nous sommes au 3e siècle avant notre ère, et  pour la première fois, dans une Upanishad, le terme yoga est utilisé sans équivoque pour désigner une méthode de discipline spirituelle.

« Quand les cinq [sens] de connaissance se tiennent ensemble avec le mental, et que l’intelligence ne bouge plus, on nomme cela la voie suprême. On connaît sous le nom de yoga cette ferme tenue des sens. Et l’on devient concentré, car le yoga est apparition et résorption. »¹

Cette définition est probablement l’une des plus anciennes qui nous soit parvenue sur le yoga. On y retrouve des éléments fondamentaux, qui seront repris dans les Yoga Sūtra :

  • Le calme du mental (« l’intelligence ne bouge plus »)
  • Le contrôle des sens (« ferme tenue sens »)
  • La concentration, évoquant probablement les différentes formes de samādhi (états méditatifs profonds)

Le yoga est « apparition et résorption », nous dit-on : apparition d’un monde intérieur de calme créé par les expériences méditatives, résorption des perceptions extérieures.

5. On y dépeint un corps ouvert, relié à l'univers

Le corps tel qu’il est conçu dans nos pratiques de yoga actuelles doit beaucoup aux Upanishads. Celles-ci conçoivent un corps ouvert, parcouru de différents souffles vitaux et relié à l’univers, contrastant avec le corps “fermé”, clos sur lui-même et introspectif des Yoga Sūtra. Les Upanishads tracent les fondations d’une vision yogique du corps qui se développera et se nuancera dans d’autres courants, notamment dans le Tantra. 

Dans une des Upanishads, l’être humain est décrit comme composé de 5 enveloppes emboîtées : l’enveloppe de nourriture (anna), de souffle (prāna), de pensée (manas), de connaissance (vijñāna) et de félicité (ānanda). Dans d’autres textes, le corps est décrit comme parcouru de 5 souffles vitaux qui régulent l’organisme : prāna (souffle sortant), vyāna (souffle circulant dans le corps), apāna (souffle descendant), samāna (souffle équilibrant) et udāna (souffle ascendant). 

Si vous étudiez ou pratiquez le yoga, ces concepts vous sont sans doute familiers !

6. On y vante les vertus cosmétiques du yoga

« Les premiers signes d’entrée dans le yoga sont légèreté, santé, contentement de l’esprit, clarté du teint, harmonie de la voix, odeur corporelle agréable et peu d’excrétions. »²

Cela peut sembler anecdotique, mais le yoga n’a pas attendu les magazines féminins pour vanter ses bienfaits cosmétiques. La pratique ancienne du yoga n’était donc pas uniquement spirituelle ; elle promettait aussi des bienfaits physiques et esthétiques, tant valorisés aujourd’hui. 

7. Victor Hugo a traduit une Upanishad

Pour terminer sur une touche poétique, saviez-vous que Victor Hugo avait proposé une traduction libre de la Kena Upanishad? Il en a fait un poème intitulé Suprématie, dont voici quelques vers, à lire à haute voix !

Et Vâyou dit :
– Je suis Vâyou, le dieu du Vent
– Et qu’est-ce que tu peux?
– Je peux, en me levant,
Tout déplacer, chasser les flots, courber les chênes,
Arracher tous les gonds, rompre toutes les chaînes,
Et si je le voulais, d’un souffle, moi Vâyou,
Plus aisément qu’au fleuve on ne jette un caillou
Ou que d’une araignée on ne crève les toiles,
J’emporterais la terre à travers les étoiles.

Si les Upanishads vous intéressent, je ne peux que vous recommander la formation en ligne donnée par Alexandre Astier, sans doute l’un des indianistes français les plus pédagogues. J’y ai appris beaucoup de choses qui résonnent avec notre pratique actuelle du yoga. 

  1. Katha Upanishad 2.3.10 [trad. Alyette Degrâces]
  2. Shvetāshvatara Upanishad, 3e-2e siècle avant notre ère

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