Ça veut dire quoi, Om ?

Qu’il soit chanté collectivement au début d’un cours, répété mentalement pour méditer, aperçu sur les tee-shirts des pratiquants, le Om est omniprésent dans le monde du yoga.

D’où vient-il ?

Pour trouver les racines du Om, il nous faut remonter 3500 ans vers le passé, et nous projeter dans le Nord de l’Inde actuelle.

Des populations venues d’Asie Centrale auto-baptisées  Aryas, les « Nobles », arrivent dans le sous-continent indien. En quête de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux, les Aryas parcourent l’Inde du Nord, diffusant sur leur passage leur langue (le sanskrit), leurs croyances (la religion védique) et leur ordre social. Leurs prêtres-poètes composent le fameux Veda. Il s’agit d’un colossal corpus d’hymnes, de chants et de formules dédiés à des divinités : le grand Indra, le vent Vayu, le soleil Surya, ou encore le feu Agni.

Agni, le dieu du Feu, par l’artiste Kailash Raj

Au cœur de la religion védique se trouve le sacrifice. Les Aryas sacrifient aux dieux, ils les nourrissent par la fumée de leurs offrandes. En retour, les dieux leur envoient pluies et récoltes, victoires dans leurs combats ou descendance prospère.

C’est la parole, lien entre les dieux et les hommes, qui procure au rite son efficacité : un certain discours cadencé, certains sons particuliers, permettent d’entrer en contact avec les divinités. Les hymnes du Veda sont murmurés, psalmodiés, chantés lors des sacrifices par une équipe de prêtres-brahmanes, spécialistes du rituel.

Les hymnes du Veda sont les premiers mantras que nous connaissons.

À QUOI SERT LE OM ?

C’est dans le cadre de ces rituels que le Om fait son apparition, comme une interjection encadrant les formules sacrificielles.

Il n’a pas encore été fixé dans sa forme “canonique” et peut alors être prononcé de diverses manières, selon les préférences des écoles de brahmanes  : il peut être labial, nasal, prolongé, fredonné, voire même amputé de son M.

Au cours d’un rituel védique, le son Om est prononcé à de multiples reprises :

– Il précède et clôture chaque formule, assure la jonction entre deux vers récités par des prêtres différents (le Om est alors prononcé simultanément par les deux officiants) ;
– Il remplace la dernière syllabe d’un vers ;
– Il peut aussi servir à marquer son assentiment, en réponse au geste rituel d’un autre prêtre : certains linguistes en ont alors déduit que le sens premier du Om était simplement “Oui” (ce qui le rapproche du Âm, le “oui” sanskrit).

Répété des centaines, des milliers de fois lors d’un même sacrifice, les vibrations du Om constituent le paysage sonore du rituel.

Agissait-il comme un genre de diapason, qui donnait le « la » aux officiants du sacrifice en même temps que le signal de départ ? Il est certain que pour les Aryas, cette syllabe apparemment dénuée de sens accroît l’efficacité des mantras.

Pourquoi ? La réponse se trouve peut-être dans les Brahmanas, une catégorie de textes plus tardive (vers 800 avant notre ère) dont le propos est de décortiquer, justifier et analyser les rites sous toutes leurs coutures : ce sont de véritables manuels de rituel.

Dans les Brahmanas, la syllabe Om est divisée en 3 phonèmes : A-U-M. Ces mêmes textes nous enseignent que le monde fut créé par un dénommé Prajapati. En “s’échauffant” (c’est-à-dire en se concentrant très fort), Prajapati créa 3 dieux (Vayu, Aditya et Agni). En échauffant ces 3 dieux, il créa les 3 Vedas. En échauffant ces 3 Vedas, il créa les termes bhûr, bhuva, svaha (terre, atmosphère, ciel). En échauffant ces 3 mots, il créa enfin les 3 phonèmes A-U-M. Pour finir, le démiurge rassembla les 3 phonèmes en un seul : le Om.

On comprend ainsi que TOUT est contenu dans le Om : les dieux, les Vedas, le cosmos.

La syllabe en vient ainsi à résumer les Vedas, l’univers tout entier et sa création. Om itîdam sarvam, dit-on en sanskrit : “Ce monde entier est juste le Om”. Notez l’importance du chiffre trois : dans nos salles de yoga modernes, nous récitons souvent le mantra trois fois…

Le Om est important dans les rites collectifs ; il l’est tout autant dans le domaine privé. Lorsque le brahmane pratique quotidiennement son svâdhyâya, sa récitation personnelle de morceaux choisis du Veda, il doit impérativement précéder et clôturer sa récitation par un Om. Sinon, pense-t-on, le Veda s’éclipse ou dépérit.

Peut-être notre habitude d’encadrer un cours de yoga par la récitation de Om est-elle née de cette coutume ?

D’AILLEURS, QUEL RAPPORT entre la syllabe Om et le yoga ?

Poursuivons notre enquête avec les textes qui clôturent le Veda, appelés upanishads. Composés au cours du 1er millénaire avant notre ère, les Upanishads anciennes sont le fruit d’expériences et de méditations menées en marge du ritualisme védique.

Intégrant les préoccupations de leur temps, elles s’interrogent sur le moyen de s’extraire du cycle des renaissances. Il ne s’agit plus de sacrifier aux dieux pour obtenir une vie prospère sur cette Terre : il s’agit d’atteindre moksha, la libération, c’est-à-dire le fait de ne plus renaître.

Et tel est bien le but et le propos du yoga originel : un moyen d’annihiler le karman, le poids des actes, pour se libérer du samsâra, le cycle des transmigrations. La technique de libération proposée par les Upanishads est une voie de Connaissance : la connaissance de son vrai Soi. Il s’agit de découvrir, au plus intime de nous, notre âme profonde, notre âtman disent les textes, et de reconnaître qu’il est identique au brahman, l’âme de l’univers. Et il suffit, pour être libéré du samsâra, de “réaliser” cette vérité oubliée.

Pour découvrir en son cœur l’âme de l’univers, les Upanishads prônent une voie de méditation. Mais elles ne rompent pas pour autant avec leurs racines védiques. Elles ne s’opposent pas au sacrifice : elle s’y superposent, en présentant leur méthode de Libération comme un sacrifice intériorisé. Ce ne sont plus de la chair animale ou du beurre fondu que le pratiquant offre au feu externe : ce sont ses propres fonctions mentales et vitales, à commencer par le souffle, qu’il verse en oblation dans son feu interne.

Rishabhanatha assis dans deux stades de méditation, Inde, circa 1680, San Diego Museum of Art

Primordial dans le sacrifice védique, Om le reste dans le sacrifice upanishadique. Le pratiquant en quête de Libération devra en effet méditer sur le Om. Au 3e siècle avant notre ère, dans la Katha Upanishad, cette syllabe est présentée comme le support (âlambana) pour la méditation. On ignore ce que cela implique concrètement : fallait-il prononcer, penser, visualiser le Om ?

En tous cas, Om est présenté comme un mot de passe vers la Libération. Om est un sésame qui permet à notre âme individuelle de se fondre dans l’âme universelle.

Quelques siècles après les Upanishads védiques, Patañjali, à qui l’on attribue le fameux Yoga Sûtra, indique que le chemin du yoga peut être pratiqué en compagnie d’une divinité nommée Ishvara.

Ishvara n’est pas un dieu dans le sens où on l’entend habituellement : il est une âme spéciale, un « gourou des gourous » qui n’a jamais été asservi par le poids du karma et qui peut épauler le yogin dans sa quête. Cet Ishvara ne peut pas être perçu directement, mais une certaine vibration permet à la conscience de l’appréhender.

Cette vibration particulière est, vous l’aurez deviné, le mantra Om.

Tantra, hatha-yoga, yoga moderne, l’histoire du Om n’est pas finie, mais cet article s’arrête ici !

Du Om chanté au Om pensé, du sacrifice védique à la méditation des yogins, cette syllabe sacrée parcourt l’histoire des religions et spiritualités indiennes. Om est le plus basique de tous les sons : il suffit d’ouvrir puis de refermer la bouche. C’est le son que font certains nourrissons lors de la tétée : ce n’est peut-être pas un hasard si le réciter nous ramène à l’Essence de tout...

Sources

Aitareya Brâhmana, 5.32, Chandogya Upanishad 2.23, Katha Upanishad 2.15, Yoga Sûtra 2.44
The Story of Om, Sacred Sound and the Vedic Roots of Yoga, cours en ligne par Dr. Finnian M.M. Gerety, yogicstudies.com

POUR EN APPRENDRE DAVANTAGE

8 réflexions sur “Ça veut dire quoi, Om ?”

  1. Ping : Ce qu’il se passe dans votre corps quand vous chantez Om – 3heures48minutes

      1. Au commencement était le verbe et le verbe était Dieu et par lui tout a paru et sans lui rien n’a paru de ce qui est paru ……evangile de Jean…. le Om est peut-être déjà là ?

  2. Merci Clémentine pour ce texte éclairant et, comme toujours, si joliment écrit. Il est vrai que ce Om est au centre de nos pratiques et lire son histoire est une vraie joie. Merci beaucoup.

  3. Merci, c’est un article intéressant.
    J’ai justement écouté un tas de vieilles émissions sur le yoga, où le chant est primordial.
    Les sons, les vibrations et la transe apportée au corps et à l’esprit…
    🙏🏻

  4. Merci, j’apprécie beaucoup vos apports, le chant des sphères, le ôm, et la pratique du yoga se clarifie de manière très accessible dans vos articles, faisant ainsi le lien entre la pratique, les rituels et chaque chose avec leur origine source.
    Jean-Michel

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