Fable indienne : le chat, le moineau et le lièvre

Dans le creux d’un figuier habitait un moineau. La rumeur d’un champ de riz mûr parvint à ses oreilles ; le moineau en quête de nourriture quitta son logis pour quelques jours. Un lièvre opportuniste en profita pour s’y établir. Lorsque le moineau revint, bien gras d’avoir mangé du riz, sa demeure était prise…

– “Hé, hé, Lièvre, cet endroit est à moi ! Va-t’en donc vite”, exigea le moineau.
– “Sot, répondit le Lièvre, cette maison est désormais à moi. Ne connais-tu pas la loi ? Chez les hommes, il faut que quelqu’un ait possédé quelque chose ostensiblement pendant dix ans pour que cette chose lui appartienne. Mais chez les quadrupèdes et les oiseaux, peu importe le temps qu’ils y ont demeuré, seul le présent compte. Ainsi cette maison est mienne. Retire-toi vite, ou tu mourras”.
– “Puisque tu es si sûr de toi, rétorqua le moineau, allons donc prendre conseil auprès d’un jurisconsulte. J’ai entendu parler d’un chat extrêmement sage. Il se livre constamment aux austérités, médite, respecte les observances, et il a de la compassion envers tous les êtres”. 
– “Soyons tout de même prudents, dit le lièvre ; il faut se méfier du fourbe qui feint les austérités. On voit dans les lieux sacrés des ascètes qui font profession d’étrangler”. 

Bas-relief, Mahaballipuram, 7e siècle.

Sur cette mise en garde, ils se mirent en route. Pendant ce temps, le chat sauvage, qui avait eu vent de leur différend, se plaça au bord de la rivière, à proximité du chemin. Tenant une poignée d’herbe sacrée, un œil fermé, les bras en l’air, touchant la terre avec la moitié d’un pied, la face tournée vers le soleil, il pérorait ainsi : « Ah  que ce monde est insipide ! La vie est fragile, l’union est un songe, la famille est une illusion. Il n’existe pas d’autre voie de salut que la vertu. » Le lièvre et le moineau l’entendirent et, rassurés par ce discours plein de sagesse, l’interpellèrent.

– “Hé, hé, ascète qui enseigne la justice ! Nous avons un débat. Donne-nous une décision selon les livres de la loi. Celui qui a tort, tu le mangeras”. 
– “Mes chers, dit le chat, mes chers amis, ne parlez pas ainsi. J’ai quitté le chemin menant aux enfers pour suivre celui de la vertu. Je ne mangerai donc pas celui qui fait erreur ; je déterminerai seulement qui a raison et qui a tort. Mais je suis vieux, et de si loin je n’entends pas bien la teneur de votre discours. Je ne voudrais pas perdre le ciel en prononçant un faux jugement. Soyez sans crainte : venez exposer votre affaire près de mes oreilles”.

Confiants, le moineau et le lièvre vinrent se placer sous ses flancs. Promptement, le félin saisit l’un par le bout de la patte, l’autre par les dents. Le sournois en fit son repas. Appliqués à la recherche du droit, jadis un lièvre et un moineau prirent un méchant pour juge et périrent.

MORALE DE L’HISTOIRE

De tout temps, les sages ont aimé mettre en scène des animaux pour instruire les hommes : le langage de la fable est toujours pareil à travers les âges. Cette histoire est tirée du Pañcatantra. Destiné à l’éducation des princes, ce recueil de contes fut composé dans le Nord de l’Inde, au début de notre ère. Mais cette histoire vous est peut-être connue par une autre plume : La Fontaine a également fait d’un chat hypocrite l’arbitre de plus petits que lui, avec la triste fin que l’on connaît (Le chat, la belette et le petit lapin). Victime des qualités que l’inconscient collectif lui attribue, le personnage du chat est à la fois doux et sournois, mielleux et scélérat. Malin, le félin parvient toujours à ses fins. Rusé, il est connu pour son habileté à tromper.

Le portrait moral du chat est peu flatteur. Mais si la fable met en scène l’animal, c’est bien de l’homme qu’elle parle.

À quelques variantes près, la morale est la même : gardons-nous des faux gourous qui profitent de notre naïveté pour se remplir la panse et servir leurs intérêts. Méfions-nous des fourbes qui feignent le désintérêt. Sur ces bonnes paroles, je m’en vais faire quelques cycles de Chat-Vache pour méditer cette histoire.

(Qui n’altère en rien mon amour pour les félins).

Dessin du Chat de Mahaballipuram, Fransje van Zoest

Source : Pañcatantra, fable réécrite librement d’après la traduction de Lancereau
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