Quand le Yoga rencontre l’Ayahuasca

Je vis sur une île du sud de la Thaïlande, un lieu  dédié à la recherche spirituelle et aux expériences en tous genres, un microcosme où la majorité des gens pratique le yoga. Un endroit où l’on choisit de séjourner pour se ressourcer, se retrouver ou se redécouvrir par le biais de multiples ateliers, de l’Ayurveda au Rebirthing.

Et au sein de cette communauté, une tendance s’est faite croissante ces dernières années: les cérémonies d’ayahuasca ne cessent de gagner en popularité. Et il suffit de taper “ayahuasca yoga” sur un moteur de recherche pour percevoir l’ampleur du phénomène.

ayahuasca
L’ayahuasca, puissante décoction médicinale, serait-elle donc une alliée incontournable sur le cheminement spirituel, quel qu’il soit, où qu’il soit? 


Qu’est ce que l’ayahuasca?

Pour ceux que cela intrigue, l’ahayuasca est une décoction de liane, à laquelle sont ajoutées d’autres plantes poussant dans la jungle amazonienne. Le breuvage, non addictif, est consommé dans un environnement contrôlé et idéalement sous la guidance d’un chaman expérimenté. La combinaison de ces plantes spécifiques forme un breuvage aux puissants effets purgatifs et psycho-actifs.

Consommée depuis 2000 à 4000 ans dans un contexte sacré et cérémoniel, l’ayahuasca est à la fois médecine et plante magique. Elle permet d’élever l’état de conscience, elle est un “cadeau du monde mythique des esprits”, un instrument précieux pour connaître les mondes visible et invisible.

Sa consommation a aujourd’hui dépassé le cadre traditionnel: l’ayahuasca est ainsi l’objet de nombreux programmes de recherches scientifiques, étant utilisé pour ses vertus thérapeutiques (notamment pour soulager des personnes en proie à l’addiction).

Le breuvage a aussi rencontré des personnes en quête de sens, des personnes qui cherchent à apprivoiser des peurs enfouies ou percevoir leur chemin de vie avec lucidité.

Enfin, et c’est le cadre qui nous intéresse ici, l’ayahuasca a rencontré des pratiquants yogis, qui choisissent de vivre l’expérience pour progresser dans leur cheminement spirituel.


Quand le yoga rencontre l’ayahuasca

J’ai récemment participé à un atelier de discussion sur la philosophie du yoga, avec pour thème “Chamanisme et Yoga”. Et chacun de raconter ses expériences, évoquer son ressenti ou exprimer son opinion. Les avis étaient partagés, mais globalement:

  • Ceux qui avaient expérimenté l’ayahuasca (une bonne moitié des participants) étaient positifs quant à leur décision: ils ont refait par la suite des cérémonies d’ahayuasca, ou s’apprêtaient à le refaire. Je cite l’un d’entre eux:

“La plante a été un guide sur leur chemin spirituel, alors que je me sentais bloqué dans ma pratique; j’avais le sentiment d’être immobilisé à une certaine étape. La plante m’a guidé,  m’a ouvert la voie vers de plus lointaines contrées.” 

  • Ceux n’ayant jamais pris d’ayahuasca étaient dubitatifs. Certains considèrent la plante comme un raccourci sur un chemin qui demande par essence du temps, de la persévérance et de la patience. Et ici aussi, je cite l’un d’entre eux:

“Utiliser la plante comme un raccourci sur un chemin spirituel, c’est aller à contre-sens, perdre le sens de la démarche première selon laquelle le chemin importe plus que la destination.”


Les opinions sont mitigées, et mon ressenti l’est tout aussi. Comment discerner ce dont nous avons réellement besoin à un instant précis de notre vie, et ce que nous consommons pour saisir l’occasion, vivre l’expérience, alors que notre chemin est autre?

Comment apprécier avec lucidité ce que nous choisissons d’expérimenter par “Pourquoi pas?” plutôt que par “Parce que”?

Et d’ailleurs, avons-nous besoin d’une substance, quelle qu’elle soit, pour cheminer spirituellement?

L’ayahuasca est une plante puissante d’un point de vue thérapeutique. Certains disent qu’une nuit d’ahayuasca équivaut à 10 ans de thérapie. Loin d’être une plante récréative, les expériences liées à la consommation d’ayahuasca peuvent faire surgir des choses que l’on n’est pas prêt à recevoir. Le voyage de l’ayahuasca se prépare; dans l’éventualité où l’expérience de l’ayahuasca fait partie du cheminement spirituel, elle doit nécessairement faire partie d’une démarche globale. Pour citer les paroles de Jacques Mabit:

“L’expérience chamanique doit se préparer avant, se conduire ensuite au sein d’un dispositif symbolique de contention et enfin être suivie d’étapes ultérieures d’intégration du vécu. Elle requiert donc un espace spécifique.” 

Autre problématique sur laquelle je ne m’attarderai pas, celle du “business spirituel” qui accompagne nécessairement cette montée en popularité. Avec la mode de l’ayahuasca sont apparus des charlatans, chamans auto-proclamés qui l’offrent à des fins lucratives tout en la dépouillant de son sens authentique. Or, seul un authentique chaman fera preuve de discernement quant à qui pourra bénéficier de l’ayahuasca, selon les antécédents et l’état présent de chacun.


Je n’ai jamais consommé d’ayahuasca. J’en ai déjà ressenti le “Pourquoi pas?”, mais pas encore le “Parce que”. Peut-être que ce dernier viendra un jour, peut-être pas. Mais je constate sa montée en popularité, et je m’interroge, sans juger.  Avons-nous besoin de recourir aux techniques de l’extase chamanique pour atteindre l’enstase yogique?  


22 réflexions sur “Quand le Yoga rencontre l’Ayahuasca”

  1. Bonjour Clémentine,

    L’Ayahuasca est une racine en vogue depuis quelques années déjà, Jan Kounen en a même fait un documentaire en 2004. Fort intéressant et très respectueux.

    Je ne suis pas surprise que l’Ayahuasca touche aujourd’hui les yogis. C’est un doux chemin vers le spirituel, une épreuve qui peut être vécu de manière rude selon l’histoire et les craintes de la personne, mais aussi de manière merveilleuse.

    Tout comme les hallucinogènes, cette plante doite être prise dans de bonnes conditions, c’est primordial pour le psychisme des individus.
    Comme vous le spécifiez, il y a un avant, un pendant et un après.

    Pour ma part, qu’il y ait des plantes qui aident à ouvrir l’esprit, je trouve ça bien. Certaines portes peuvent être ouvertes, certaines le doivent même.
    Certaines tribus/peuples consomment toutes sortes de plantes depuis des siècles, allant du peyot au cannabis en passant par l’ayahuasca. Des rituels ancestraux qui permettent de voir ce qui ne peut être vu, d’enlever les barrières de la société, avoir un effet thérapeutique qui n’aurait pu être trouvé ailleurs…

    Avez-vous lu “Les portes de la perceptions” d’Aldous Huxley ? Des livres de Castaneda ? “L’expérience psychédélique” de Timoty Leary ? Ou encore “Le livre des morts tibétains” ? Je pense que ces lectures pourraient vous aiguiller quelque peu ou vous faire comprendre davantage ce qu’il en est de la magie de certaines plantes.

    Je suis psychologue clinicienne, et en France, très peu de psychologues sont ouverts à ces choses. Du moins, à notre époque.
    Mais personellement, je pense que certaines plantes ont un pouvoir particulier et qu’il est difficile d’accéder à un certain état sans celles-ci.

  2. Figurez-vous qu’il y a des même psychiatres qui pensent que l’expérience mystique et le délire mystique sont pareils, c’est-à-dire que les mystiques sont des psychotiques. Tout ça sans se rendre compte qu’on ne peut rien savoir intrinsèquement ni du délire ni de la mystique mais que seule l’expérience directe, je veux dire au-delà du champ cognitif et sensoriel, permet de rendre compte de cette dernière. Alors, pour qu’elle reste acceptable, nous l’appelons “expérience du présent”. Einstein a dit que providence est le nom que Dieu se donne pour rester anonyme. La compassion est aussi accepter de taire ce qui ne peut pas être dit.

  3. Une hallucination est une expansion sensorielle et mentale, la preuve en est qu’elle accélère le temps. La spiritualité du yoga est juste le contraire : une rétraction-réduction des sens et de la pensée qui permet d’atteindre le samadhi dans la cessation du temps, réalisée pendant que le corps est encore en vie. Nous nous servons du présent pour témoigner de cette réduction. Je ne vois aucun rapport entre la consommation d’un produit hallucinogène et le cheminement du yoga, qu’à prendre des vessies pour des lanternes. Mais, évidemment, c’est juste une opinion personnelle, et personne n’est obligé de penser comme moi.

  4. Bonsoir,
    Je travaille dans un service d’addicto où parfois on a des personnes qui prennent ce type de plantes. Le voyage spirituel peut selon moi passer par d’autres choses. Les hallucinations mais surtout le sens qu’on leur donne durant les “voyages sous produit” ne sont qu’une interprétation. A chacun de voir le chemin qu”il souhaite prendre, mais je suis tout à fait d’accord pour dire que le produit semble un raccourci et non le chemin ou la réponse spirituelle à un parcours de vie. Une étape tout au plus.
    Quant aux retours sur les essais, souvent beaucoup de vomissements et pas mal de bad trip ;)

  5. Bonjour Clémentine,
    Je faisais référence au site 3h 48 mn, mais je sais très bien que nous partageons à partir de vos propres écrits. Votre précision va quand même orienter ma façon de répondre d’une manière plus précise. Je tiens à signaler que pendant très longtemps, je parle en terme de décennies, je n’ai jamais osé prendre la parole… ou la donner, allez savoir ! J’ai longtemps été confronté à des discours intellectuels très éloignés des expérience intérieures réalisées dans une pratique. Je le repère et prends de la distance tout de suite. Je me considérais comme non articulé au monde et, de ce fait, je souffrais d’une lombarthrose invalidante et d’une coxarthrose gauche supportable. C’est dire qu’en matière de raideur et douleur à accepter, je sais de quoi je parle. Maintenant encore, j’ai de longues périodes où mon corps refuse les postures ; je ne me satisfais que de méditation. Je constate que ces périodes sans pratique de yoga – hors méditation – ne sont pas des régressions ou des pertes de temps ou que sais-je d’autre encore. Elle s’intègrent dans mon cheminement comme faisant entièrement partie de lui. Pratiquer/ne pas pratiquer, quand nous sommes soutenus par un travail intérieur régulier d’attention au présent, est avancer ; trois pas en avant, deux pas en arrière, certes, mais c’est avancer quand même.
    Tout ça pour vous dire que si je reste touché par vos écrits et m’y investi par les miens, c’est parce que je sens qu’ils sont issus du chaudron alchimique qui cuit dans vos tripes.

  6. Bonjour,
    Au début, je me suis demandé comment se fait-il qu’un site puisse publier un écrit aussi éloigné de la pratique. Puis, l’ayant reçu, accepté et laisser passer, je comprends l’importance de savoir exposer le contraire de ce que nous devons faire. C’est, pour moi, une bonne expérience de discernement.
    De toutes les réponses qui ont été données, celle qui me correspond le plus est que ce n’est pas le résultat qui compte. Ce n’est d’ailleurs ni le commencement ni la fin. Ils n’ont aucune existence intrinsèque tant que nous sommes dans le mouvement de la vie. Le présent du chemin parcouru est la seule réalité tangible sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour transformer notre conscience. Et ce présent-ci est une extinction de toutes nos représentations mentales, intellectuelles et sensorielles.
    En yoga, il n’y a pas d’expérience expansive à obtenir. Il y a une rentrée au centre immobile de notre être qui est lumière-d’en-haut. Aucune substance ne nous permet d’y accéder.
    Je ne sais même pas si le yoga est un chemin spirituel tant que personne ne m’a défini clairement ce qu’est la spiritualité.
    Je voudrais maintenant répondre à Stéphanie. Ne cherchez pas intentionnellement à aller vers la souplesse en croyant ce que vous imaginez du yoga après avoir lu les livres faits pour être vendus. Le yoga vous demande de mourir à vos représentations, c’est-à-dire aux choix prioritaires que vous faites d’une chose par rapport à son contraire. Vous n’avez pas à aller vers un pôle, la souplesse, en refusant son contraire, la raideur. Vous avez à accepter les deux événements d’une manière neutre et sans jugement. Ce n’est pas ceux-là qui sont importants, c’est votre attitude à les recevoir, les accepter et les laisser passer sans aucune intervention de votre part. C’est l’observateur immobile qui nous intéresse, le contenu de ce qu’il observe ne sert à rien d’autre qu’à exercer son immobilité. Chaque asana est un miroir du présent dans lequel vous vous regardez à l’intérieur de vous-même, où la raideur a autant à vous apprendre sur vous que la souplesse.

    1. Bonjour Robert,
      Merci pour votre partage et votre réponse à Stéphanie, et surtout pour votre phrase de conclusion qui m’a donné à réfléchir.
      Pour en revenir au début de votre commentaire, je tiens à préciser ceci: il ne s’agit pas d’un site qui publie, il s’agit de moi, Clémentine, qui constate un phénomène grandissant dans la communauté yogique qui m’entoure, qui m’interroge et qui partage… Ce ne sont que mes humbles pensées transcrites via ce site.
      Bonne journée à vous!

  7. Coucou Clémentine,

    J’ai vécu cette expérience, je ne voulais pas en entendre parler, “ça n’était pas pour moi” jusqu’au jour où une femme en qui j’avais entièrement confiance, une dame à l’esprit le plus clair, à l’intelligence la plus aiguisée et l’esprit le plus critique que je connaisse m’informe qu’elle en prenait régulièrement. Sans que je contrôle quoi que ce soit je me suis retrouvée quelques mois plus tard à vivre cette expérience puis un an après une fois encore accompagnée d’un homme incroyable, un vrai chaman affirmant ne pas être chaman mais simplement servir la plante “parce que c’est ce que la vie veut”. Ce furent des expériences inoubliables, enrichissantes, humainement aussi : de grandes rencontres. Il y avait toute une préparation, c’était en pleine forêt, il fallait marcher beaucoup avant “la prise du thé”, c’était au Brésil, on était un groupe de 4 le chaman compris, … Tant de conditions qui ont fait que je me sentais en confiance. J’ai eu l’occasion d’en reprendre en Europe et ça a dit “NON” à l’intérieur. Je pourrais voyager et en reprendre au Brésil mais ça dit “NON” à l’intérieur même si les expériences étaient magiques.

    Selon mon point de vue c’est une aventure qui se passe avec justesse à partir du moment où le choix de la vivre se fait avec justesse, à l’écoute de la décision du coeur plutôt que celle de la tête (qui a tendance a aimer ce genre d’expérience pour le côté “sensationnel” de la chose, or c’est tout sauf “sensationnel” dans le sens “attractif”, c’est un vrai plongeon dans des espaces de la conscience qui dépassent notre état d’être ordinaire et que tout le monde n’est pas prêt à vivre).

    J’ai remarqué aussi au Brésil que cette plante est en train d’être commercialisée, utilisée par des gens qui ne sont pas “justes” dans leurs intentions, leur utilisation de ce cadeau des anciens :(

    Merci pour cet article juste et éclairant, étant donné le développement de l’utilisation de l’Ayahuasca il me semble important d’en parler et de clarifier de quoi il s’agit afin d’éviter les expériences difficiles qui pour moi sont toujours les conséquences d’un choix de tête et pas de coeur… ;)

    1. Vous constaterez Florine que dans toutes les activités humaines, depuis que le monde existe, le bien et le mal s’entrelacent. Ils nous demandent un travail de discernement que la conscience mentale ne permet pas toujours d’obtenir, plafonnée qu’elle est par ses représentations duelles.
      Vous écrivez “c’est un vrai plongeon dans des espaces de la conscience qui dépassent notre état d’être ordinaire et que tout le monde n’est pas prêt à vivre”. Si vous le désirez, si des mots existent pour le dire, j’aurais aimé que vous nous développiez ce que vous avez vécu et comment cela a eu une influence transformatrice dans votre cheminement personnel, si tel est le cas. C’est l’écoute de ce genre d’altérité qui me maintient en éveil.

  8. Merci pour cette réflexion…. Je m’en tiendrai modestement à “c’est le chemin qui importe, pas la destination”.
    Ce qui est traditionnel dans d’autres cultures est adapté à celles ci….Et pour moi ce n’est transposable chez nous qu’à grand risque de se perdre….
    Faire son chemin à son rythme à son niveau avec modestie… C’est ma conviction. Merci pour toutes tes publications :c’est ça mon Ayahuasca !

  9. En toute honnêteté, je ne pense pas osé essayer un jour mais j’avoue que je me sens bloquée dans certains domaines de ma vie, notamment le yoga en ce moment où j’ai plus l’impression de me raidir que de m’assouplir. Ca éveille tout de même ma curiosité…

  10. J’ai une copine pour qui ça s’est tellement mal passé qu’elle a cru mourir… Bon en même temps c’était pas très bien suivi! Mais n’empêche, moi ça me branche pas trop car tous ces trucs d’hallucinations ça me fait peur! Je pense qu’on vit déjà pas mal de choses puissantes en pratiquant le yoga dans certaines méditations… Après, pour certaines personnes, c’est sûrement une expérience extraordinaire!!! Sympa d’avoir parle de ça en tout cas!!!

    1. Pareil, j’ai la sensation qu’il y a déjà tellement à explorer dans certaines méditations… Pas encore ressenti de “blocage” qui pourrait m’orienter vers une substance extérieure.

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