Matsyendrasana : Le seigneur-poisson qui donna son nom à une torsion

Janvier. Dans l’almanach imaginaire des yogis, il est de coutume de célébrer Matsyendra en pratiquant à loisir la posture qui porte son nom : une torsion. Et par n’importe laquelle, la torsion assise, ma préférée. Pour remédier aux excès alimentaires des fêtes ou à l’abus de galette, on préconise en effet, à tort ou à raison, de tordre avec enthousiasme son abdomen. Quel est l’effet exact d’une torsion sur la détoxination, là n’est pas le débat. La question qui me trotte dans la tête est plutôt celle-ci : pourquoi Matsyendra, “roi des Poissons”, a-t-il donné son nom à une torsion ? Qui est-il ? Et d’ailleurs, d’où vient cette drôle de position ?

BKS Iyengar, Ardha Matsyendrasana et Paripurna Matsyendrasana

Matsyendra, seigneur des Poissons

Selon la légende des yogis Naths, Matsyendra fut le premier gourou humain : il y a environ mille ans, c’est lui qui transmit l’enseignement du yoga aux hommes. Son nom signifie littéralement le Seigneur-Poisson (matsya désigne le poisson, indra le seigneur). Selon certaines versions, il était né poisson. Selon d’autres, il fut avalé par un poisson lorsqu’il était bébé : né sous une mauvaise étoile, ses parents l’avaient jeté à l’eau. Bref.

Un jour, alors qu’il nageait dans l’océan, ce poisson surprit une conversation bien intéressante. Réfugié sur un ilot, à l’abri des oreilles indiscrètes (croyait-il), le grand Shiva était en train de prodiguer à sa bien-aimée Parvati les enseignements alors ultra confidentiels du yoga. A l’époque dont nous parlons, seul le grand Shiva connaissait l’art du yoga. Cette discipline aurait pu rester l’apanage des dieux pendant encore des milliers d’années si Matsyendra n’était pas passé par là. Tout ouïe, Matsyendra fut captivé par la leçon de Shiva. Et les enseignements du dieu firent naître chez le poisson une vocation… Sortant des eaux sous la forme d’un homme, Matsyendra répandre sur terre l’art du yoga : c’était décidé, il allait devenir gourou.

Ça, c’est la légende. Historiquement, Matsyendra aurait vécu aux alentours du 10e siècle et serait à l’origine de la tradition tantrique kaula, qui édulcore certains aspects morbides des tantriques d’alors. Son disciple le plus célèbre fut sans conteste Goraksha (selon l’Histoire, maître et disciple auraient en réalité trois siècles d’écart). Goraksha est celui qui, dit-on, transforma les rituels sexuels tantriques en des pratiques convenant au tempérament ascétique des hatha yogis.

Tout ceci ne nous dit pas pourquoi Matsyendra donna son nom à une torsion. Sur les miniatures ou sur les murs des temples, on reconnaît facilement le seigneur-poisson à sa monture : un… poisson. Imaginez un instant chevaucher un poisson sans selle ni rênes. Pas facile, hein ? Matsyendra aurait-il pivoté son buste vers l’arrière afin de se cramponner à la nageoire dorsale ? Serait-ce là l’explication du mouvement de torsion ? Ou aurait-il simplement légué son nom à la posture dans laquelle il atteignit l’illumination ?

Matsyendra, Hampi, photo par Seth Powell

Jusqu’à plus ample informé, c’est dans la Hatha Yoga Pradipika, au milieu du 15e siècle, que la posture fait son apparition. Les chercheurs ne lui ont pas encore trouvé de précédent textuel.

Après  avoir saisi le pied droit posé à la base de la cuisse gauche et le pied gauche posé contre l’extérieur du genou droit, se redresser, le buste tourné dans la direction opposé : ceci est l’asana enseigné par Sri Matsyendranatha. Matsyendrasana est l’arme qui détruit quantité de terribles maladies: grâce à une pratique assidue de celle-ci, le feu digestif des hommes est ranimé, la kundalini réveillée et le nectar lunaire stabilisé.
– Hatha Yoga Pradipika I.26-27

Merci Matsyendra, car la vie serait bien raide sans torsion !


Naths : Yogi Heroes and Poets: Histories and Legends of the Naths, State University of New York Press
Mythologie et symbolique des postures : Le Chien tête en bas, 45 histoires d’asanas
Histoire du yoga : Yoga, 2500 ans d’histoire

8 réflexions sur “Matsyendrasana : Le seigneur-poisson qui donna son nom à une torsion”

  1. Jiguet Fabienne

    Merci Clémentine pour ces jolis et instructifs articles ! Votre article m’a apporté une explication plausible sur la forme de la posture et son nom.

  2. Bonjour Clémentine! Merci pour les explications , c’est toujours très intéressant. Je n’ai pas réussi à me procurer ton livre CHIEN TÊTE EN BAS au Québec. Pourrais-tu m’en expédier un exemplaire?
    Jean Dubé
    3499 rue Victoria
    Lac-Mégantic Qué. Canada
    G6B 1R9

    Merci !

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