Ces 10 mots sanskrits que tout le monde connaît (vraiment ?) – Suite et fin

Ces dix mots, tout le monde les a déjà entendus au moins une fois. Parfois adoptés, parfois galvaudés, ils semblent à la fois familiers et étrangers. Tour d’horizon étymologique pour utiliser ces mots sanskrits avec sens critique. Suite et fin de l’article paru la semaine dernière

Rama à l’ermitage de Baharadvaja, fin 18e, Sotheby’s

6. Ashram : ermitagE

Un ashram (āśrama) est un ermitage.

  • Le terme est construit sur la racine verbale śram, “s’efforcer, se fatiguer, pratiquer l’ascétisme” 
  • La racine est préfixée par un ā indiquant la direction, “le fait d’aller vers”

Aller à l’ashram, c’est donc se diriger vers l’effort, rejoindre le lieu où l’on pratique des austérités. Cela peut être la cellule d’un ermite retiré de la société, ou toute une communauté de personnes rassemblées autour d’un gourou. En sanskrit, le terme āśrama désigne également les quatre étapes de vie traditionnelles de l’initié hindou : l’âge de l’étude, de la vie familiale, de la retraite et du renoncement. 

7. NAMASTE : salut à toI

Le terme s’est répandu comme une traînée de poudre dans les cercles yogiques : que ce soit pour saluer un yogi de son entourage ou délimiter de manière sonore l’espace sacré de la pratique, namaste fut vite adopté. Quelle est son origine ? 

  • Le mot dérive de la racine nam, “se courber, s’incliner devant quelqu’un”
  • Namas est l’action de s’incliner par respect, le salut, l’adoration
  • En bout de mot, la particule te indique le destinataire du salut : “à toi”

Namaste apparaît dans les hymnes védiques comme formule d’hommage et de vénération. En Inde, il est plus largement employé comme formule de salutation, à l’instar du namaskar.

8. MANTRA : instrument de pensée

« Mantra » a, ici et aujourd’hui, pris le sens d’une phrase choisie et répétée pour diriger ses actes et ses pensées, pour appréhender avec philosophie les aléas du quotidien. “C’est mon mantra” = c’est ma maxime de vie. D’un point de vue étymologique :

  • Mantra dérive de la racine man, “penser, croire, honorer”
  • Le suffixe tra sert à former des noms d’instrument : “ce qui sert à (…)”

Un mantra est donc un instrument de pensée. Cela peut être un conseil, un avis, une maxime, une sentence. Mais surtout, suivant les divers sens de la racine man, un mantra est ce qui sert à croire et honorer : à l’origine, un mantra est un hymne ou des mots d’adoration adressés à une divinité, une formule mystique d’incantation.

Historiquement, les premiers mantras que nous connaissons sont les formules védiques récitées par les prêtres lors des sacrifices aux divinités, aux alentours de 1500 avant notre ère. Chaque geste était accompagné d’une formule sacrée, qui assurait au sacrifice son efficacité. 

9. DHARMA : ce qui soutient

Aujourd’hui, on parle beaucoup de “trouver son dharma” : de nombreux livres, articles, conférences de développement personnel enjoignent à connaître sa vocation, à réaliser sa mission de vie. Selon le spécialiste James Fitzgerald, dharma est l’un des mots les plus fâcheux à traduire : 

  • Dharma dérive de la racine verbale dhṛ, “porter, supporter, soutenir”
  • On lui ajoute le suffixe man qui produit des noms de genre neutre, particulièrement des termes rituels 

Héritier du rita védique, le dharma est “ce qui soutient” : l’ordre naturel, la loi physique, mais encore le devoir, la morale, la justice. Sur un rocher de l’empereur Ashoka gravé en langue grecque, vers 260 avant notre ère, dharma est traduit par eusebeia ; tout un concept philosophique… cherchez “eusébie” pour en savoir plus !

Quant à la mission de vie évoquée dans les premières lignes, cela se rapprocherait plutôt du svadharma, “dharma sien, son propre dharma”. Historiquement, le svadharma n’est pas quelque chose que l’on doit “trouver” : ce sont les devoirs de l’individu, déterminés par sa naissance (=par son appartenance à une classe sociale) et son étape de vie, ce qui laisse donc peu de liberté… et peu de marge de développement “personnel”.

10. AVATAR : incarnation

Le terme est mondialement connu. Outre un titre de saga, il désigne l’incarnation virtuelle d’un individu, d’abord, dès les années 1980, dans les jeux vidéos, puis sur internet et lieux de rencontre en ligne. Mais bien avant cela, un avatar (avatāra) est une incarnation divine dans la religion hindoue.

  • Le mot dérive de la racine tṝ, “traverser, secourir”
  • Il est préfixé par ava qui indique un mouvement de haut en bas 

Le terme désigne la descente, et plus spécifiquement la descente d’une divinité sur la terre pour rétablir le dharma (voir point précédent) lorsque l’ordre cosmique semble menacé. C’est l’apparence que prend un dieu sur la terre. Avatāra désigne surtout les incarnations du dieu Vishnu, traditionnellement au nombre de dix (poisson, tortue, homme-lion, sanglier…).

Bonus

  • Buddha – participe passé du verbe budh, “s’éveiller, comprendre” = l’Éveillé
  • Tantra – “ce qui sert à tendre” : fil, chaîne du tissu ; au figuré, exposé de doctrine, nom de traités
  • Kāmasūtrakāma, le désir + sūtra, le fil ou le recueil d’aphorismes = aphorismes sur le désir
  • Āyurveda – āyus (âge, durée de vie, longévité, vitalité) + veda (science, savoir) = science de la vitalité, médecine

Le lexique du yoga

À découvrir par ici

Curieux-se de décrypter les mots, les mantras qui virevoltent autour de votre tapis ? De déchiffrer ces glyphes étranges देवनागरी ? De cerner les rouages de la langue du yoga ?

Alors ce manuel vous est destiné. Il comporte deux livrets : un lexique et une grammaire. En leur compagnie, vous serez capable de translittérer un texte en devanāgarī, décortiquer un mot sanskrit, chercher la signification d’un mantra, comprendre la structure d’une phrase. Vous connaîtrez sur le bout des doigts le nom des āsanas et prononcerez correctement les différents phonèmes sanskrits !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Retour haut de page