La posture de l’enfant : mythe et symbolique

Il y a bien longtemps de cela, le dieu Brahma eut sommeil, laissant présager la fin d’une ère : chaque fois que le Créateur s’endormait, un déluge anéantissait la Création. Des nuages noirs obscurcissaient le ciel, des pluies féroces martelaient le sol, les sept rivières déferlaient et les quatre océans débordaient. C’était la fin de l’ancienne ère, la destruction du monde avant sa régénération.

Immortel, le sage Markandeya était le seul témoin de ce déluge cosmique. Épargné par le cataclysme, il arpentait la Terre devenue marécage à la recherche d’un asile ou d’un compagnon de route. Battu par les vents et par les vagues, tourmenté par la faim et la soif, le sage avançait à l’aveuglette. Il était totalement désorienté, ne pouvant distinguer ni le ciel, ni la terre. Le vieil homme épuisé s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Une immense feuille flottant à la surface de l’eau apparut alors dans son champ de vision. Sur ce radeau de fortune, un petit enfant suçait son gros orteil. Pleinement absorbé à la tâche, il semblait ignorer le chaos alentour. L’enfant affichait une sérénité pour le moins déconcertante au vu des circonstances.

Intrigué, Markandeya s’approcha. L’enfant ouvrit la bouche, et le vieil homme fut aspiré. Un instant plus tard, Markandeya se trouvait dans le ventre de l’enfant. Et là, partout autour de lui, il reconnut des arbres, des rivières, des oiseaux, des troupeaux, des rues, des villes, l’Univers tout entier, celui qui avait été anéanti par le déluge ! Le sage marcha longtemps, plus de cent ans, sans jamais atteindre la fin de ce corps. Soudain, l’enfant expira et le sage se retrouva dehors. « J’espère que tu t’es bien reposé », lui chuchota l’enfant.

L’enfant, qui contenait la Création en lui, attendait l’éveil de Brahma pour redonner vie à l’Univers. L’enfant savait que les choses ne meurent jamais : elles disparaissent en un instant, pour reparaître quand il est temps.


Cet enfant, c’est Krishna, avatar du dieu Vishnu. Aujourd’hui, en Inde, on célèbre sa naissance. Et si nous célébrions nous aussi, sur nos tapis, l’insouciante sagesse de l’enfance ? Tel Markandeya, lorsqu’on ne sait plus dans quelle direction avancer, il est parfois bon de se reposer dans le ventre de l’âge tendre. Le front sur le tapis, le buste incliné sur les cuisses, prenons refuge dans nos balasana, postures de l’Enfant. Couchés sur le dos, les pieds attrapés, explorons nos sensations en ananda balasana, posture du bébé heureux. Ainsi régénérés, puissions-nous rentrer du bon pied dans cette nouvelle année, et agir à notre niveau, avec lucidité.


Illustration : Markandeya apercevant Krishna sur l’océan cosmique, c. 1680, Inde du Nord, Jammu et Cachemire, Basohli, Cleveland Museum of Art
Extrait : Le chien tête en bas, 45 histoires d’asanas, Editions La Plage, 2019
Mythe : Mahābhārata (Araṇyaka-parva), Matsyapurāṇa, Bhāgavata-purāṇa.

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